Cécile Proust, danseuse
une féministe post-moderne

Cécile Proust a présenté au Centre National de la Danse à Pantin une performance intitulée femmeusesaction #19, final/ment/seule. Elle nous parle de danse, de féminisme et de ses influences post-modernes.
Dans votre spectacle, présenté au Centre national de la danse, vous assumez très clairement une posture politique. Quelles sont vos influences ?
Cécile Proust. Ma performance parle des liens entre arts et féminismes. Les arts plastiques m’inspirent énormément. Un certain nombre d’artistes post-modernes renouent avec une forme d’engagement, réintègrent une posture politique, rompant en cela avec les plasticiens de la modernité. Ces derniers pensaient que le grand art était en dehors de la vie sociale. Même si des exceptions notables existent des deux côtés. Dans la post-modernité, il y a en effet aussi pléthore de frivolité, d’œuvres coupées de toute source historique. En danse, j’ai moins de recul. Je me suis formée avec des artistes français et américains, comme Cunningham, qui ne sont pas questionnés par une posture politique et sociale. Cette danse dite androgyne met en scène, en réalité, des corps d’hommes. Toutes les années 1980 ont été marquées par l’arrivée des hommes en danse, ce qui est formidable, avec des corps très puissants, comme celui de Verret, des chutes, des sauts… Que ces codes deviennent dominants est problématique. Il me manquait quelque chose au niveau de la chair et d’un érotisme. J’ai toujours eu un besoin de retourner vers des corps genrés ou féminins, pour le dire autrement, mais je me méfie de ce mot-là.
Dans les années 1970, les féministes françaises s’intéressaient peu à la danse car elles craignaient au contraire de se voir enfermer dans un rôle féminin…
C. P. La performance de la féminité me va très bien. Pas celle de la femme au foyer, bien sûr, mais ce corps qui s’exprime par exemple dans la danse du ventre. C’est très post-féministe de se dire qu’on peut aussi faire cette femme-là, sans complexes ni mauvaise conscience. Le problème, c’est quand on est coincé, enkysté, assigné à un genre. Je revendique un genre dans lequel chacun puisse se servir là où il l’entend. Mais quand certaines femmes chorégraphes dans les années 1980 prenaient avec tellement d’enthousiasme cette danse puissante amenée par les hommes, elles pouvaient faire preuve de reniement intégré. Aujourd’hui, les centres chorégraphiques sont en passe d’être dirigés en majorité par des hommes, alors qu’au départ il n’y a quasiment que des filles dans les écoles.
Vous puisez dans des sources littéraires multiples, de Monique Wittig à Virginie Despentes, pour nourrir votre performance. A quoi servent-elles ?
C. P. La post-modernité en art a été extrêmement nourrie par les pensées féministes. Il n’y a pas que Warhol ou Duchamp qui l’ont inspirée. C’est très important pour moi de proposer des relectures de livres qui ont été balancés par-dessus bord. Citer ses sources, avoir des références historiques, c’est une façon de remettre en cause la notion d’auteur, ce génie aux idées soufflées par Dieu lui-même. Ma posture politique est radicale. Mais je ne peux pas parler d’ailleurs que de là où je suis. Quand je dis dans mon spectacle : « Je suis une lesbienne qui couche avec les hommes, surtout un », c’est la vérité. Je me révèle vraiment. J’aurais adoré être lesbienne pendant de nombreuses années, je trouvais ça plus en accord avec ma pensée. Mais ce n’est pas parce qu’on est hétérosexuel qu’on doit avoir une culpabilité.
Parler de votre histoire personnelle, est-ce politique ?
C. P. C’est ce que j’essaie de faire. Je pars de l’intime pour en faire une histoire politique. Rester dans ma propre histoire ne m’intéresse pas. Et parler de politique sans partir de soi, c’est très autoritaire. Plutôt que de parler de l’excision moi-même, je préfère donner la parole. C’est une façon de partager l’autorité. Je ne veux pas parler à la place des autres. Si je donne mes références, c’est aussi pour faire entendre d’autres voix. Je préconise dans ma performance de revenir à une notion des années 1970 : « Le personnel est politique ».
recueillis par Marion Rousset pour la revue Regards (N°49 mars 2008)