Cécile PROUST: une chorégraphe féministe

Portrait
Cécile PROUST: une chorégraphe féministe.

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Au-delà de son métier de chorégraphe et de danseuse Cécile Proust est avant tout une féministe convaincue et nous l'avons rencontrée pour

Artiste militante, le projet de Cécile Proust, femmeuses interroge les liens entre les pensées sur le genre et la postmodernité en art. Un travail sur le codage des corps, la fabrique du genre, le queer et l’ordre sexuel. À ce jour 24 femmeuses actions ont été créées sous de multiples formes : spectacles, performances, vidéos, textes, installations, programmations de spectacles, commissariat d’exposition.
Des artistes de différents champs et des théoricien-ne-s ont été exposé-e-s, invité-e-s ou ont collaboré aux recherches de femmeuses pour citer comme exemples non exhaustifs Martha Rosler, Carole Roussopoulos, Elisabeth Lebovicci, Vito Acconci, Christine Bard, Sylvie Blocher etc...

Le féminisme d'une danseuse de formation

Cécile Proust est née dans une famille particulièrement égalitariste dans l'éducation des filles, danseuse depuis l'enfance, son féminisme nait parallèlement au milieu de la danse et s’ancre au départ dans un désir de liberté sexuelle. Des après-midi passées à la librairie Des Femmes pendant son adolescence elle y découvre le livreDu coté des petites filles (1), bouquin qui selon elle, continue à l'influencer. De livre en livre elle se construit alors un féminisme personnel. Son apprentissage de la danse, enfant, s'étant fait dans un milieu exclusivement féminin, elle n’est donc pas confrontée de plein fouet aux mécanismes sexistes, mais c'est par la suite de sa carrière qu'elle notera que plus “on gravit dans les sphères du monde de la danse plus les directions de C.C.N sont tenues par des hommes “ et elle reconnaît la justesse du rapport de Reine Pratt (2) connu pour avoir mis en exergue les inégalités hommes-femmes dans le milieu du spectacle vivant.

La danse ? Un milieu particulier où le sexisme ne revêt pas les mêmes habits que dans d'autres domaines

Cécile explique que l'on n'est pas dans la danse soumis à un « entre soi masculin » pour deux raisons : le milieu de la danse moins prestigieux que le milieu du cinéma par exemple laisse place à moins de quête symbolique de pouvoir; les hommes qui viennent danser y viennent pour d'autres valeurs qui ne concordent pas en général avec les représentations viriles de notre société actuelle. Selon elle« les hommes lâchent des choses », certains sont plus proches d'un « féminisme ». Pour Cécile Proust si un homme recherche une place financière ou symbolique reconnue « il ne fait pas ce métier-là ». Pour avoir travaillé à la création (co-auteure avec Jacques Hœpffner) d’un court-métrage lié aux arts plastiques, Cécile Proust est confrontée à la réalité sexiste d’autres milieux artistiques et constate que la danse demeure un espace à part où les stéréotypes “virilistes” n'ont pas lieu d'être.

Danseurs: Les hommes acceptés pour ce qu'ils sont, les femmes cadrées à une norme

Dans les années 80 sont arrivés dans la danse contemporaine des hommes hétérosexuels, selon elle certaines mentalités voudraient que “quand les hommes arrivent dans une profession c'est du mieux”, l’idée énoncée n'étant pas neuve, socialement on remarque très vite qu'une profession serait re-valorisée par l'apport du masculin, une femme lui ayant même dit « moi la danse a commencé à m'intéresser quand les hommes y sont rentrés ». Selon Cécile Proust il n'est pas possible de dire si c'est l'entrée des hommes dans le métier qui a revalorisé la danse, ou si c'est parce que le métier était revalorisé que les hommes y sont entrés. Bien que la danse soit un milieu assez “gay”, il semblerait que la cooptation entre hommes ressemble à celle d’un milieu masculin hétérosexuel.

Danse et enfance : les réflexions de vie que s'est fait Cécile Proust

Renforcée par la naissance de sa fille dans une position égalitariste, pour Cécile Proust aucune petite fille n'est ce qu'on appelle à proprement parler « fémininE », les petites filles, lorsqu'elle ne sont pas contrôlées, cadrées, déploient justement une énergie qui ne rentre pas dans un modèle prédéfini dit féminin. Investie dans un syndicat de parents d’élèves, Cécile constate que si les filles travaillent mieux à l'école, sont poussées à être consciencieuses, on laisse toujours plus de marge aux garçons. Elle raconte cette anecdote où un garçon écrivait mal dans son cahier « ah mais c'est un artiste » s'exclame et consacre alors le professeur; évidemment, chez le garçon le défaut va être décrit comme un trait de personnalité: « c'est le génie qu'il faut évidemment soutenir ». Ainsi en observant un certain nombre de cours de danse contemporaine Cécile Proust remarque que « les garçons sont souvent mis en valeur pour ce qu'ils sont, les filles doivent rentrer dans un moule »: le danseur Olivier Dubois qui pour la norme physique habituelle du métier de danseur est en sur-poids, tourne sa “disgrâce” en œuvre d'art tandis qu'une danseuse se serait probablement mise au régime...

Cécile Proust souligne que si il est politiquement correct de s'attaquer à la danse classique, il est intéressant d’affiner l’analyse. Selon cette dernière on trouve de très beaux rôles dans la danse classique, et au-delà de rôles stéréotypés, ce qui attire pour elle les petites filles à s'y identifier et à désirer devenir danseuse-étoile. C'est la force des personnages qui y sont représentés et la place importante de la danseuse étoile. … Il y a 50 ans et plus, les danseuses classiques étaient des personnalités, des caractères, qui ne rentraient pas dans des normes si précises et plus féministes qu'on ne le penserait de prime abord. La minceur extrême dans la danse classique serait relativement récente datant de la danseuse Sylvie Guillem au corps de gymnaste, Cécile Proust soulève qu'il serait intéressant de se demander alors « À quel moment et quel corps devient une norme... »

Reflexions autour du corps...

Cécile n'est pas du tout essentialiste mais souligne qu'il ne faut pas rentrer dans un déni du corps. Au Bolshoi Théâtre de Russia (le ballet classique russe communiste) quand les filles étaient en période de menstruation elles avaient la possibilité de prendre deux jours de repos. Cecile Proust interroge l’idée que cette possibilité est plus féministe “que l’obligation de ne rien faire savoir d’un corps biologique”.
En ayant travaillé sur un projet où danseurs et danseuses devaient, dans une préoccupation d’égalité de la part du chorégraphe, danser tous et toutes torses nus, au détriment de la poitrine des femmes, qui aurait pu se déchirer... Cécile Proust avance l’idée que lors de ce type de spectacle les hommes puissent mettre un soutien-gorge comme les femmes. « Pourquoi les hommes ne mettraient pas un soutien gorge si on veut un “costume neutre” pourquoi la norme étalon devrait être le costume masculin ??? “ s’exclame-t-elle. Il s'agit bien-entendu ici de questions relatives à la fabrique du genre et des normes dominantes.

De la même manière, les ateliers qu’elle anime avec de nombreux adolescents la mettent face à une demande de pudeur à laquelle selon elle “on ne peut pas répondre seulement par une injonction à un corps “libéré””. Pour le dire autrement, beaucoup d’adolescents sont pris en étau par des injonctions paradoxales. “soyez sexy, libérés et ils ne le souhaitent pas forcément comme on voudrait leur imposer.” explique-t-elle. Pudeur et impudeur, il est à se demander si comme il l'a très souvent été décrit, le New Burlesque (3) qui se réapproprie les codes du striptease, serait une démarche féministe. Ayant vu les filles de Tournée, (le dernier film de Mathieu Almaric (4)) en spectacle, Cécile Proust trouve la démarche de cette troupe “extrêmement féministe” pour esthétiser leurs différence. Elles osent faire rire avec leur corps non-formatés et n'oublions pas l'auto-dérision restait encore jusque là un privilège masculin. “Auteures, sujet et objet, elles proposent des mises en scènes de leurs corps hautement libératrice.” Elles se réaproprient des codes “comme l’effeuillage en le tordant et nous faisant nous tordre de rire et certainement pas à leurs dépens”.

Le 29 avril, femmeusesaction#24, un bon coup de fouet ça remet les idées en place, sera présenté durant le festival Troubles à Bruxelles.

Séverine HETTINGER

(1) GIANINI BELOTTI, Elena.- Du coté des petites filles - Editions des femmes.
(2) PRATT, Reine.- www.culture.gouv.fr, 2006.
(3) Cf. Wikipedia
(4) Cf. Premiere