Le temps (Genève) samedi 5 juin
2010
Critiques : femmeusesaction #19,
à l’adc, à Genève
Drag Kings, exercices pratiques
Faux cils, talons hauts et paillettes
à gogo. Depuis le film Priscilla, reine du désert, tout le
monde connaît les Drag Queens, ces hommes, coqueluches des cabarets,
qui se transforment en caricatures féminines. Dans femmeusesaction
#19, Cécile Proust prend le contre-pied. La danseuse présente
la figure du Drag King et, du gladiateur à King Kong, enfile toutes
les panoplies du mâle dominant. Même sens de l'excès, donc, sauf que
le Drag King est plus militant. Il s'inscrit dans le courant féministe
radical et vise à exploser les stéréotypes de genre. Déflagration.
Le terme définit bien le spectacle de Cécile Proust où mini-conférences,
vidéos et happenings composent un menu à la fois pertinent et impertinent.
Le public, qui ne reste pas inactif, se régale.
Cécile Proust a d'abord dansé chez Alain Buffard,
Odile Duboc ou Bob Wilson avant de se lancer dans la création. Son premier
spectacle considérait la sexualité du côté des femmes (Alors, heureuse?,
2002) et posait les bases d'un vaste chantier : en 2004, après avoir
rencontré l'intellectuelle américaine Beattiz Preciado, Cécile Proust
entame les femmeusesactions, une série de débats, conférences,
installations et performances qui composent une fresque animée du féminisme
contemporain.
Le numéro #19 programmé à l'adc constitue une
forme de résumé de ces six ans d'activité. Mais rien de rébarbatif. Dans
un décor de télés et d'écrans, Cécile Proust a l'art d'articuler du lourd
(les exposés, les manifestes, les vidéos-débats) avec du léger. Comme
cette performance où, en gladiateur casqué, la danseuse arrive du fond
de la salle et passe du cow-boy du Far West au Monsieur Muscle de Californie
sur un air kitsch de Pavarotti. Le ton est décalé, l'ironie, jolie. Et
le final du spectacle, solo sensuel d'un King Kong en skaï, particulièrement
réussi.
L'avantage de cette forme débridée? Le public
n'est pas accablé, coincé entre ses efforts pour éviter les pièges du
machisme et sa culpabilité de ne pas toujours y arriver. Au contraire,
il est titillé par la multitude d'informations et réjoui par le panachage
d'identités. Mieux, il participe lui-même à ce décloisonnement des genres
en fabriquant en direct de quoi expérimenter la masculinité.
Marie-Pierre Genecand
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